En tant que juifs... (2000)
Le 28 septembre 2000, Ariel Sharon, ex-Premier ministre d’ Israël, alors député, se livre à une provocation sur l’esplanade des mosquées. Commence alors un mouvement de révolte des Palestiniens : la second Intifada. Une tribune à laquelle je me suis associé , publiée dans Le Monde le 18 octobre 2000 dénonce la prétention des dirigeants de l’Etat israélien de représenter tous les juifs du monde.
Une autre tribune, publiée en 2002, dénoncera l’usurpation de la représentation des juifs français par le CRIF.
En 2023, la dénonciation de cette double usurpation mérite d’être rappelée.
Citoyens du pays dans lequel nous vivons et citoyens de la planète, nous n’avons pas de raisons ni pour habitude de nous exprimer en qualité de juifs.
Nous combattons le racisme, dont, bien sûr, l’antisémitisme sous toutes ses formes. Nous condamnons les attentats contre les synagogues et les écoles juives qui visent une communauté en tant que telle et ses lieux de culte. Nous refusons l’internationalisation d’une logique communautaire qui se traduit, ici même, par des affrontements entre jeunes d’une même école ou d’un même quartier.
Mais, en prétendant parler au nom de tous les juifs du monde, en s’appropriant la mémoire commune, en s’érigeant en représentants de toutes les victimes juives passées, les dirigeants de l’État d’Israël s’arrogent aussi le droit de parler, malgré nous, en notre nom. Personne n’a le monopole du judéocide nazi. Nos familles ont eu leur part de déportés, de disparus, de résistants. Aussi le chantage à la solidarité communautaire, servant à légitimer la politique d’union sacrée des gouvernants israéliens, nous est-il intolérable.
Dans l’escalade de la violence, des actes inadmissibles sont commis des deux côtés. C’est hélas le lot de toute logique de guerre. Mais les responsabilités politiques ne sont pas également partagées. L’État d’Israël dispose d’un territoire et d’une armée. Les Palestiniens des territoires occupés et des camps de réfugiés sont condamnés à vivre sous tutelle, avec une économie mutilée et dépendante, dans une société estropiée, sur un territoire en lambeaux, lacéré de routes stratégiques et semé de colonies israéliennes.
Si la provocation calculée d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées, avec le soutien d’Ehoud Barak, a pu mettre le feu aux poudres, c’est que la situation était déjà explosive du fait des manœuvres dilatoires dans l’application des accords d’Oslo, de la poursuite de la colonisation israélienne des territoires, du refus de reconnaître un État palestinien dont la proclamation est sans cesse différée. Il n’est pas surprenant que ces humiliations et ces frustrations accumulées aboutissent à la révolte d’un peuple. Un pas peut-être irréversible est en train d’être franchi. La provocation symbolique d’Ariel Sharon, en accentuant le caractère confessionnel des affrontements au détriment de leur contenu politique, favorise la montée en puissance de forces religieuses extrêmes au détriment des partisans de la paix et d’une Palestine et d’un Israël laïques. Une course au désastre est engagée. Une guerre civile se profile en Israël même entre juifs et arabes israéliens.
Ce n’est pas bien que juifs, mais parce que juifs que nous nous opposons à cette logique suicidaire des paniques identitaires. Nous refusons la spirale mortelle de l’ethnicisation du conflit et sa transformation en guerre de religions. Nous refusons d’être cloués au mur des appartenances communautaires.
Partisans de la fraternité judéo-arabe, nous réclamons la relance d’un processus de paix qui passe nécessairement par l’application des résolutions de l’ONU, par la reconnaissance d’un Etat palestinien souverain et du droit au retour des Palestiniens chassés de leur terre. C’est par là que la coexistence pacifiée de différentes communautés culturelles et linguistiques sur un même territoire peut devenir possible.
Signataires
Raymond Aubrac, Nurith Aviv, Eliane Benarrosh, Miguel Benassayag, Daniel Bensaïd, Haby Bonomo, Irène Borten, Rony Brauman, Suzanne de Brunhoff, Gérard Chaouat, Bernard Chapnik, Jimmy Cohen, Alain Cyroulnik, Philippe Cyroulnik, Sonia Dayan-Herszbrun, Régine Dhoquois-Cohen, Ruy Fausto, Arie Finkelstein, Jean-François Godchau, Jean Harari, Isaac Johsua, Samuel Johsua, Esther Joly, Janette Habel, Gisèle Halimi, Norbert Holcblat, Marcel-Francis Kahn, Pierre Khalfa, Hubert Krivine, Daniel Liebman, Michaël Löwy, Henri Maler, Sheila Malouany, David Mandel, Marie-Pierre Mazeas, Christophe Otzenberger, Maurice Rajfus, Jean-Marc Rosenfled, André Rosvègue, Suzanne Saltiel, Catherine Samary, Laurent Schwartz, Michèle Sibony, Corinne Sibony, Daniel Singer, Stanislas Tomkiewicz, Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Voloch, Richard Wagman, Michèle Zemor, Patrick Zylberstein.
– Lire aussi : « Soutenir Israël ? Pas en notre nom ! » (avril 2002)