États Généraux du Mouvement Social : un triple le défi

Tribune publiée en novembre 1996 dans la revue Confluences pour une alternative progressiste [1]

Un appel à des États Généraux du Mouvement Social a été lancé, dès février 1996, par des intellectuels (signataires de l’appel de solidarité avec les grévistes de novembre et décembre 1995 et par des représentants (agissant à titre individuel) de la plupart des composantes du mouvement syndical et associatif. Ces États Généraux du Mouvement Social sont en marche.

Quel est leur objectif ? Promouvoir un débat et une élaboration, pluralistes et décentralisés, ouverts à toutes celles et à tous ceux qui souhaitent voir le mouvement social apporter ses propres réponses aux questions de société qu’il soulève dans ses luttes contre les effets des politiques libérales

Où en sommes-nous ? Des collectifs des États Généraux se sont constitués ou en cours de constitution dans la plupart des départements. Des réunions préparatoires se sont tenues ou sont prévues, notamment à Alès, Annecy, Besançon, Caen, Clermont-Ferrand, Dax ,Dijon, Montbéliard, Poitiers, Reims etc. ; en Dordogne et Seine-Saint-Denis ; à Paris dans les 11e 19e 20e arrondissement etc. (J’en oublie puisque je n’ai pas la liste sous les yeux). Des groupes de travail par thème sont impulsés, et, dans la région parisienne quatre commissions (Travail-Emploi, Services Publics, Protection Sociale, Europe) ont commencé des travaux dont les premiers résultats seront bientôt disponibles.

Nous avançons lentement mais sûrement - lentement c’est-à-dire sûrement. Pourquoi ? Les difficultés que nous rencontrons sont à la mesure du triple défi qui nous est lancé

Premier défi : préparer des États Généraux en prise sur le mouvement social Sans le maintien de la vigilance et de la combativité du mouvement social sur tous les fronts où elles sont sollicitées, nous bâtirions sur du sable. Mais, précisément, parce que cette vigilance et cette combativité se maintiennent (autrement dit parce que le mouvement de novembre et décembre dernier n’était pas une parenthèse) et énergies de toutes celles et tous ceux qui souhaitent une large discussion sont d’abord mobilisés dans les combats les plus urgents. Les États Généraux sont dépendants de ces mobilisations qui tout à la fois les favorisent et les freinent.

Deuxième défi : faire vivre des formes inédites de confrontation au sein du mouvement syndical et du mouvement associatif, et, plus généralement parmi les acteurs du mouvement social, qu’ils adhèrent ou non à un syndicat ou une association. L’unité dans l’action serait renforcée par la convergence de toutes les dans les propositions. États Généraux ont pour vocation de favoriser ces convergences, en traçant les contours d’un espace de débats démocratiques. Cet espace de débats est ouvert sans exclusive : il appartient à toutes celles et tous ceux qui y participent. Il ne se subordonne pas à un cartel d’organisations et ne prétend pas au monopole des discussions. Le sens de l’appel qui le fonde est simplement celui-ci : confronter, élaborer, proposer, du sein même du mouvement social ; confronter, élaborer ,proposer « tous ensemble ».

Troisième défi : inventer des relations nouvelles entre les acteurs du mouvement social et les intellectuels et chercheurs qui font partie de ce mouvement. Les pièges ne manquent pas : de la revendication arrogant d’une compétence réservée aux dépositaires du savoir à la simple consultation des chercheurs appelés à décorer par leurs expertises réputés savantes des propositions déjà adoptées. Comment déjouer ces pièges ? Comment dépasser, non l’autonomie de la recherche, mais l’insularité à laquelle il arrive encore que certains chercheurs se complaisent ? Et comment surmonter la défiance qu’inspirent parfois, d’un autre côté, des travaux qui ne sont pas directement subordonnés aux exigences de l’action.

Modestement, obstinément, c’est ce triple défi que nous voulons relever Autant dire que nous n’avons pas choisi la facilité C’est pourquoi la première session des États Généraux qui se tiendra à Paris et 23 et 24 novembre ne constituera qu’une première étape une étape préliminaire indispensable.

Henri Maler

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Bref bilan et compléments (2024)

Force est de constater que le triple défi mentionné dans la tribune publiée ci-dessus est loin d’avoir été relevé. Le ressac des mobilisations sociale après la grès de novembre et décembre 1995 s’est traduit pas des actions éclatées qui n’ont pas permes d’ancrer les Etats généraux. Les syndicats et associations, souvent divisés, n’ont pas alors trouvé le chemin d’une participation dynamique. Les nouvelles formes de collaboration entre militants et intellectuels sont restées morcelées. En 1998 les Etats généraux se sont éteints, relayés pour une part la création de la Fondation Copernic.

Pourtant, ce triple défi pourra être sans doute relevé être relevé sous d’autres formes et dans d’autres occasions.

(1) Cette tribune a été publiée avant la première session des Etats généraux des 23 et 24 novembre 1996. Rares ont été les articles et tribunes consacrés à la préparation de cette première session.

 L’Humanité du 6 novembre 1996 : « Etats généraux du mouvement social les 23 et 24 novembre ».

 Le Monde du 13 novembre 1996 : « La division syndicale freine l’élan des États généraux du mouvement social » (par Ariane Chemin).

  L’Humanité du 13 novembre 1996 : Première rencontre nationale de l’appel des États généraux [Compte-rendu de la conférence de presse] (par Jean-Paul Monferran).

 Politis du 14 novembre 1996 : « Des questions toujours sans réponses » Tribune par Jacques Kergoat.

 Rouge du 14 novembre 1996 : « Cela se passera les 23 et 24 « . Entretien avec Catherine Lévy (Propos recueillis par Dominique Mezzi)

(2) Rares également ont été les articles consacrés à la tenue de cette première session. Notamment :

 Le JDD du 24 novembre 1996 Bourdieu : « pas un programme ». Compte-rendu de la première session, citation de Pierre Bourdieu.

 L’Humanité du 25 novembre 1996. « Luttes sociales : des Etats généraux et particuliers ».

 Libération du 25 novembre 1996 Compte-rendu de la première session : « Pierre Bourdieu se réjouit du mouvement social ».

 Politis du 28 novembre 1996 : Compte-rendu de la première session : « Un pari relevé (par Jean-Louis Peyroux)

 Le Monde du 26 novembre 1996 : « Les Etats généraux du mouvement social veulent renouer avec l’internationalisme ( par Alain Beuve-Méry et Ariane Chemin)

(3) Environ 500 personnes ont assisté à cette première session , marqué par les interventions de La première session elle-même a été marquée par les interventions de et de Pierre Bourdieu. Une intervention publiée sous le titre « Les chercheurs, la science économique et le mouvement social » dans Pierre Bourdieu, Contre-feux, Liber-Raisons d’agir, avril 1998. Consultable également sur le site de l’Homme moderne.

(4) Parmi les initiatives ultérieures, on peut mentionner : la rédaction d’une charte des droits sociaux, « Un appel pour la réduction du temps de travail », un appel pour transformer l’école

 L’Humanité du 10 décembre 1997 : « Un appel pour la réduction du temps de travail »
 Le Monde du 11 décembre 1997 : « Interrogations à gauche sur l’efficacité du dispositif » (par Ariane Chemin).