Pluralisme et médias : de quoi parle-t-on ?
Le pluralisme, entendu de façon générale, revêt ou devrait revêtir plusieurs formes à distinguer en droit, bien qu’il ne soit pas toujours aisé de les distinguer en fait.
Un principe : le pluralisme politique
La notion de pluralisme désigne prioritairement le pluralisme politique, entendu comme un principe d’organisation de la société et de l’État : le principe qui reconnaît et garantit l’expression et la représentation de la diversité des opinions politiques, et en particulier de leur représentation institutionnelle et partisane , c’est-à-dire le multipartisme.
Entendu comme principe d’organisation de la société et de l’État , le principe du pluralisme doit ou devrait trouver sa traduction dans l’espace médiatique, en prenant soin de distinguer, bien qu’ils soient interdépendants, le pluralisme des productions médiatiques et la pluralité des supports et des opérateurs. C’est-à dire ?
I. Pluralisme des productions médiatiques
Le pluralisme des productions médiatiques englobe des productions relativement distinctes : le pluralisme politique proprement dit, le pluralisme des opinions de toutes natures, ainsi que la diversité des informations et la variété des goûts et des culture.
(1) Le pluralisme politique revêt, dans les médias, deux formes ou dimensions relativement distinctes : le pluralisme dans l’expression des institutions et des partis politiques et, abstraction faite de ce dernier, le pluralisme dans l’expression des opinions politiques au sein de tous les médias ou au sein d’un même média. On ne saurait confondre ces deux formes de pluralisme :
- le pluralisme institutionnel et partisan : l’expression de pluralité des institutions et des partis politiques dans les médias et la représentation qui est accordée à chacun d’eux ;
- le pluralisme éditorial : l’expression des opinions politiques propres à chaque média, mais aussi au sein de chacun d’entre eux et, plus généralement, dans tous les médias, que ces dernières expressions émanent des journalistes eux-mêmes ou d’autres commentateurs.
L’Arcom (ex-CSA) est chargée de Protéger le pluralisme politique. Cette « Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique » distingue « le pluralisme au quotidien » et le pluralisme « pendant une élection »
- Force est de constater que « Le pluralisme au quotidien » (comme l’Arcom le désigne) repose aujourd’hui sur une surreprésentation de l’exécutif (1/3 du temps de parole) et sur un « principe d’équité » qui amalgame des critères disparates.
- Force est des constater que « Pendant une élection », le principe d’équité amalgame à nouveau des critères disparates. Quant au « principe d’égalité », il ne s’applique qu’à la campagne présidentielle et seulement « à compter du début de la campagne officielle » (pour une durée 12 jours en 2022).
À noter que ces critères, strictement quantitatifs, ne tiennent aucun compte des conditions qualitatives d’expression des protagonistes et que le pluralisme éditorial ne fait l’objet de la part de l’Arcom d’aucune régulation, hormis pendant la compagne officielle de l’élection présidentielle.
Sur tout cela, il faudra revenir.
(2) Le pluralisme dans les médias ne se limite pas (ou ne devrait pas se limiter) à l’expression et la représentation de la diversité des seules opinions politiques. Il doit (ou devrait) englober l’expression de toutes les opinions. Le pluralisme désigne alors le pluralisme des opinions de toutes natures ou, pour dire dans le langage de nombre de décisions du Conseil Constitutionnel, « le pluralisme des courants d’expression socioculturels » [1] ou « le pluralisme des courants de pensée et d’opinion » [2] : pluralisme dont il est souligné, dans toutes les décisions correspondantes, qu’il est « en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ».
(3) Enfin le pluralisme dans les médias, entendu de façon élargie et dans toutes ses dimensions, englobe ou devrait englober, en prenant soin de les distinguer, la pluralité des opinions, mais aussi diversité des informations et la variété des goûts et des culture.
(4) En d‘autres termes, pour peu qu’on ne confonde pas le pluralisme avec la multiplicité toujours souhaitable des médias et de leurs opérateurs, le pluralisme dans les médias, entendu de façon élargie et dans toutes ses dimensions, englobe ou devrait englober, en prenant soin de les distinguer, la pluralité des opinions, la diversité des informations, la variété des goûts et des cultures.
(5) Le pluralisme ainsi compris doit s’exercer, pour être lui-même pleinement garanti, selon deux modalités : comme un pluralisme généralisé et comme un pluralisme particulier à chaque média.
- Comme un pluralisme généralisé à l’ensemble de l’espace médiatique ou à un secteur de cet espace (presse, radio, télévision, internet).
- Comme un pluralisme particulier à chaque média qui diffère selon qu’il s’agit de médias d’opinion qui assument une orientation éditoriale de parti-pris (voire partisane) ou de médias de consensus qui prétendent fédérer des publics ou des usagers indépendamment de leurs opinions.
II. Pluralité des supports et des opérateurs
(1) Le pluralisme ainsi entendu - le pluralisme politique (qu’il soit éditorial ou partisan) , la diversité des informations, la variété des goûts et cultures (et donc des contenus) - ne doit pas être confondu avec la pluralité ou la multiplicité des supports et des opérateurs qui, sous réserve de certaines précisions, est une condition primordiale du pluralisme proprement dit. Cette confusion est entretenue par le Conseil constitutionnel lui-même [3].
(2) C’est à la multiplicité des médias et des opérateurs (que les dispositifs anti-concentrations visent à garantir) que fait ou devrait faire référence, en toute rigueur, la distinction fréquemment opérée entre le pluralisme « externe » et le pluralisme « interne ».
- En toute rigueur, la notion de pluralisme « externe » devrait exclusivement viser la multiplicité des médias et, plus précisément, la distribution (et la limitation) des parts de capital qu’une même personne physique ou morale peut posséder dans plusieurs médias (eux même en nombre défini).
- Et la notion de pluralisme « interne » devrait être réservée à la distribution (et à la limitation) des parts de capital détenues par des opérateurs dans une même entreprise médiatique.
Force est de constater que, dans nombre de textes, plus ou moins officiels, la distinction en question recouvre tantôt les dispositifs qui sont sensés garantir ces multiplicités, tantôt le contenu du pluralisme qu’ils garantissent. C’est ainsi que le pluralisme interne fait souvent référence au pluralisme des contenus, et le pluralisme externe au pluralisme des opérateurs.
Les principes et repères ainsi posés peuvent guider les diagnostics, à commencer par celui-ci que l’on peut livrer sans attendre : dans les médias dominants, qu’ils soient publics ou privés, prévaut, de quelque façon qu’on l’entende et dans toutes ses dimensions (opinions, informations, goûts et cultures), un pluralisme rabougri. Encore convient-il de préciser ce diagnostic s’agissant notamment de la pluralité des opinions politiques (qu’elles soient partisanes ou éditoriales).
De façon plus générale, pluralisme des productions et pluralité de supports et des opérateurs sont interdépendants, selon des modalités qui doivent être précisées. Mais c’est en fonction de ces principes et repères exposés ci-dessus que l’on peut tenter de répondre notamment aux questions suivantes
- Qu’en est-il des effets des concentrations et de la concurrence capitalistes sur le pluralisme dans les médias ? Ou, en d’autres termes, à quelles conditions la multiplicité des opérateurs et des médias peut-elle favoriser, dans toutes ses dimensions, le pluralisme ?
- Qu’en est-il l’expression de la pluralité des opinions ? Et que valent de règles et conditions auxquelles elle est soumise, dans l’audiovisuel, dans la presse écrite et sur internet ?
Etc.
À ces questions seront consacrés de prochains articles.
Henri Maler
Version revue et complétée de « Pluralisme : de quoi parle-t-on ? »], article publié le 1er mars 2015, sur le site d’Acrimed.